• CHAPITRE III - Le récit de Gibiline

     

    Au beau milieu d’une forêt d’hévéas, se tenait une petite maison en bois, simple mais coquette. De jolis rideaux fleuris habillaient les fenêtres donnant sur la cour. Cette note d’esthétisme surprit un peu nos amis car jusqu’à présent les maisons qu’ils avaient aperçues tout le long de la route étaient plutôt dépouillées. De l’autre côté de la chaumière s’étendait un grand jardin qui ne ressemblait en rien à celui de Zébu. Comme il s’en étonnait auprès de Gibiline, celle-ci lui répondit :

     - Ma maîtresse cultive quelques légumes qui lui permettent de subvenir à ses besoins. Ici les fleurs ne seraient d’aucune utilité. Parfois, lorsque la récolte est plus abondante, la vieille dame se rend au grand marché de Cu Chi afin de vendre une partie de sa production. L’argent ainsi gagné lui permet une fois l’an de se rendre à Ho Chi Minh Ville chez le bouquiniste où elle achète quelques livres ; c’est son seul luxe.

     - Comment se fait-il qu’elle vive seule dans ce coin isolé ? demanda Moineau.

     - Autrefois, elle résidait à la ville dans une magnifique demeure, entourée de son époux, de ses deux fils et de quelques serviteurs. Elle était institutrice et enseignait aux enfants de l’école Colette. Son époux, médecin, prodiguait ses soins aux malades de l’hôpital Graal. Puis vint la guerre et ses bombardements. Alors que ses fils combattaient et que son mari soulageait les blessés, sa maison fut entièrement détruite par une bombe. Elle perdit son seul bien et se réfugia chez des parents. L’école avait fermé ses portes, aussi décida-t-elle de se rendre utile en rejoignant son époux qu’elle aida en qualité d’infirmière.

    Six mois plus tard ses fils furent tués au combat en même temps, dans la région de Cu Chi. Peu après, son époux contracta une terrible fièvre à laquelle il ne survécut pas. Ma maîtresse, accablée par tant de malheurs, décida de faire enterrer son mari à Cu Chi, puis elle-même s’y établit afin d’être proche des disparus.

     - C’est une bien triste histoire, commenta Zoé. Mais comment sais-tu tout cela ?

     - Lorsque ma maîtresse n’a pas le moral, elle me prend dans ses bras et me raconte sa vie passée. Je suis bon public puisque je ne peux pas lui parler !

    Gibiline indiqua ensuite à ses amis une petite remise dans laquelle ils pourraient s’installer. Non loin de là, un puits leur permit de trouver l’eau nécessaire à leur toilette ; ensuite ils s’abreuvèrent longuement.

     - Cette eau est délicieuse, elle est aussi fraîche que claire, fit remarquer Zoé.

     - Elle provient d’une source perdue dans la forêt, expliqua Gibiline.

     - Que va dire ta maîtresse si elle nous trouve chez elle ? questionna Moineau.

     - Ne vous inquiétez pas, elle est partie quelques jours chez sa soeur qui est un peu souffrante. Ma présence n’était pas souhaitée, aussi suis-je restée seule. À présent la voie est libre.

    Après qu’ils aient fait le tour du propriétaire, n’y tenant plus, Zébu demanda à Gibiline la raison de leur venue.

              Gecko

     - Et bien voilà, tout a commencé une nuit où je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Tous les animaux semblaient nerveux ; les chouettes hululaient d’une drôle de façon ; les geckos ne chantaient pas du tout, quant aux grillons, ils émettaient des « cri-cri » discordants. Il faisait bon, un vent léger agitait la cime des arbres, la lune était pleine et lumineuse, aussi décidai-je d’aller me promener sur le site de Cu Chi, situé à quelques centaines de mètres de la maison.

     

     

     - Tu n’as donc pas peur de te balader seule la nuit ? interrogea Gibbonnette effrayée.

     - J’ai toujours vécu à la campagne et je connais bien les environs. Il n’y a aucun danger à fureter la nuit, du moins le pensais-je à ce moment-là.

     

     

     

                      Grillon

    Les dernières paroles de Gibiline piquèrent au vif la curiosité de nos amis, et c’est dans un silence religieux qu’ils écoutèrent la suite du récit.

     - J’arrivai en vue de l’entrée des souterrains et décidai de grimper dans un arbre afin d’interroger la chouette sur son hululement inhabituel. Elle me connaissait bien car souvent je m’étais aventurée près des tunnels la nuit, et au fil du temps nous étions devenues amies.

    «  - Bonsoir Charlotte, que t’arrive-t-il cette nuit ? Tu sembles toute chamboulée et ton chant a quelque chose d’inquiétant.

     - Tu dis vrai Gibiline, voilà deux heures que j’observe les environs et je n’avais encore jamais vu cela.

    (A suivre)

    ©zebuchaton.com 2010


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  • CHAPITRE II : Le voyage (2ème partie)

    Beaucoup plus tard, exténués ils arrivèrent enfin en vue de l’autocar, déjà surchargé de passagers. Mais plus impressionnant encore était le toit du véhicule qui abritait une multitude d’objets, si bien que nos amis se demandèrent s’ils parviendraient à trouver place au sein de ce capharnaüm. Grâce à l’échelle située à l’arrière de l’autobus, ils grimpèrent sur le toit sans attirer l’attention des badauds. À peine furent-ils installés que le car démarra bruyamment soulevant au passage un nuage de poussière et dégageant une fumée noirâtre. Sans encombre, ils gagnèrent la sortie de la ville passant au travers de la circulation composée principalement de motos.

    (Copyright Zohra Lacal 2007)

    À l’intérieur du véhicule, les passagers commençaient à s’agiter ; un bébé pleurait sans discontinuer tandis que sa mère tentait de le calmer ; des jeunes filles chantaient en choeur une chanson populaire ; un homme éternua puis se moucha violemment ; une vieille femme cracha par la fenêtre sa chique de bétel qui heurta de plein fouet un cycliste. Zébu et Moineau se régalaient de ces petits riens qu’ils découvraient avec curiosité. Les rizières avaient fait place aux immeubles gris et souvent délabrés. Les paysans, coiffés du traditionnel chapeau conique, s’activaient avant la tombée de la nuit pour récolter le riz indispensable à leur alimentation.

    D’autres, sur le bord de la route, reconduisaient tranquillement les buffles qui avaient traîné la charrue toute la journée. Plus loin, ils aperçurent une petite fille qui tentait à grand peine de maintenir au pas, tout en gardant le rang, une troupe de canards. Pour la première fois, les enfants découvraient la campagne et ses charmes, et à mesure qu’ils cheminaient, ils se réjouissaient de ces quelques jours de vacances au grand air.

    Les maisons des paysans s’alignaient irrégulièrement au bord de la route qu’elles soient construites en bois ou en briques. Toujours, les sourires s’affichaient en direction des passagers du car et la bonne humeur fleurait bon dans l’air chaud de cette fin de journée. Enfin le chauffeur stoppa dans un petit bourg où les voyageurs purent se restaurer et se dégourdir les jambes. Les uns se ruèrent sur une bière fraîche ou sur un thé glacé tandis que les autres avalèrent goulûment des Banh Bao(3). Nos amis furent tentés de descendre, mais la peur de manquer le départ les encouragea à n’en rien faire.

    (Banh Bao)

    Puis le conducteur signala aux voyageurs qu’ils devaient reprendre place et l’autobus repartit alourdi de calories supplémentaires. La route était en piteux état, aussi le chauffeur roulait-il avec une extrême prudence. Pourtant, au détour d’un virage, une roue s’enchâssa dans une ornière manquant de justesse verser car et passagers dans le fossé. Mais tout rentra bien vite dans l’ordre, il y avait eu plus de peur que de mal. Nos amis, couverts de poussière, éternuaient à qui mieux mieux en espérant voir bientôt la fin du voyage. Alors que l’autobus doublait un vélo, Zébu et Moineau furent abasourdis en apercevant le chargement du cycliste.

     - Je rêve ! Il déménage toute sa maison sur son vélo comme un escargot, s’étonna l’oisillon.

     - Tu as raison, sur le côté gauche il a deux chaises, de l’autre au moins dix poulets attachés par les pattes, et sur le porte-bagages trois valises surmontées d’un panier de fruits, constata Zébu.

     - Non mais regarde ! s’écria Moineau. Le pire c’est qu’il y a un petit garçon sur le guidon qui tient un canard dans chaque main, il doit avoir les fesses en marmelade. Heureusement que le bonhomme n’a pas de filles sinon il n’aurait pu les mettre que sur les pédales et là je ne sais pas comment il aurait fait pour avancer.

    Mais rapidement le cycliste ne fut plus qu’un minuscule point sur la route tandis que l’autobus cheminait à vive allure dans une ligne droite. Soudain, un « boum » assourdissant retentit à l’avant du véhicule et le chauffeur freina subitement dans un effroyable crissement de pneus.

    - Que se passe-t-il ? interrogea Gibbonnette.

     - Je crois qu’une des roues avant vient de crever, avança Zeus.

     - Ho la la ! s’écrièrent en choeur Zébu et Moineau. Nous sommes en pleine campagne, comment vont-ils pouvoir trouver un garage ? Nous allons rester bloqués pendant des heures, c’est la catastrophe.

    Un à un les passagers évacuèrent le véhicule sans manifester le moindre mécontentement. Ils entendirent le chauffeur demander à chaque voyageur de reprendre son bagage afin d’alléger la charge de l’autocar.

     - Filons avant qu’on nous découvre ! grommela Gibbonnette.

    En catimini, ils descendirent le long de l’échelle et se cachèrent dans les fourrés. À leur grand étonnement, ils virent revenir le chauffeur quelques minutes plus tard, accompagné de deux hommes qui ressemblaient étrangement à des mécanos. Ils extirpèrent de leurs cabas cric et chambre à air, et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, l’autocar fût prêt à reprendre la route.

     - Mais d’où sortent-ils ces garagistes ? interrogea Moineau.

    Zeus, qui avait beaucoup voyagé, lui apprit alors que les routes vietnamiennes étaient peuplées de petites baraques abritant des ouvriers très qualifiés et bien outillés. Ils pouvaient à peu près tout réparer à condition de ne pas être pressé.

     - C’est rudement pratique, déclara Zébu.

     - Oui c’est très utile car l’état des routes est tel que la plupart des véhicules n’arrivent pas d’une traite à destination, expliqua Zeus.

     - Je pense qu’il nous faut à présent remonter, car les bagages ont été réinstallés sur le toit, conseilla Zoé.

    Puis l’autobus reprit son chemin comme si de rien n’était. Peu après, ils entendirent le chauffeur crier à l’attention des passagers :

     - Cu Chi, Cu Chi, quinze minutes d’arrêt.

    Ils sautèrent rapidement sur le bas-côté et scrutèrent les environs à la recherche de Gibiline qui devait les accueillir. De l’autre côté de la route, ils aperçurent enfin un singe qui leur faisait des signes. À part Gibbonnette, tous furent frappés par la ressemblance des deux soeurs.

     - C’est stupéfiant ! s’exclama Zébu.

     - Incroyable ! renchérit Moineau. On dirait qu’il y a deux Gibbonnette.

    Prudemment ils traversèrent la route et allèrent à la rencontre de Gibiline. Sa soeur fit les présentations et tous se sentirent immédiatement à l’aise en présence de la jumelle. Ses mimiques étaient les mêmes que celles de Gibbonnette ; à la première grimace ils éclatèrent de rire ce qui détendit un peu plus l’atmosphère.

     - Je suis très heureuse de vous voir tous ici, car les événements ont connu ces derniers temps des rebondissements spectaculaires. Votre aide me sera précieuse, j’avoue que cette énigme me déroute totalement.

     - De quoi s’agit-il ? questionna Zébu impatient.

     - Avant de vous raconter cette étrange histoire, laissez-moi vous conduire chez ma maîtresse où vous pourrez manger et boire à satiété. Il me semble également qu’un bon bain ne serait pas superflu car vous êtes sales comme des gueux !

    Zébu et Moineau rongeaient leur frein de curiosité, mais ils se résignèrent à suivre les conseils de Gibiline. Ils se demandaient toujours quel était ce mystère tout en étant fermement résolus à le percer.


     

    (3)Petite brioche à base de farine de riz, fourrée de viande hachée et d’un oeuf de caille.

    ©zebuchaton.com 2010


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  • CHAPITRE II - Le voyage

    (Copyright Zohra Lacal 2008)

    Le jour du départ était enfin arrivé, au grand soulagement de Zeus et Zoé. Depuis l’annonce du voyage, Zébu était excité comme une puce, infernal avec les autres animaux qu’il terrorisait plus qu’à l’accoutumée, et ses parents éprouvaient les pires difficultés à contenir ce débordement d’énergie. Moineau était dans le même état d’excitation, si bien que Zeus avait fini par menacer les enfants d’annuler purement et simplement l’expédition à Cu Chi. En apparence le chaton et l’oisillon avaient déclaré forfait, cependant, lorsqu’ils se retrouvaient en tête-à-tête, ils donnaient libre cours à leur imagination.

    Justement, quelques heures avant le départ, ils s’étaient réunis et les hypothèses les plus farfelues se bousculaient dans leur cerveau.

     - Que peut-il bien y avoir de si mystérieux à Cu Chi pour que Gibiline demande à sa soeur de venir avec du renfort ? s’interrogea Zébu.

     - Je n’en ai pas la moindre idée, avoua Moineau.

     - Il s’agit peut-être d’une pénurie de bananes qui priverait les gibbons de leur met favori, avança Zébu.

     - Ne dis pas de sottises, des bananes il y en a partout et puis même s’il en manquait un peu, cela ne mettrait pas la vie des singes en danger.

     - Au fait, que sais-tu de Cu Chi toi ? questionna Zébu.

     - Fort peu de choses en vérité, dut admettre Moineau à contrecoeur. Gibbonnette m’a raconté que cette ville se situait à une trentaine de kilomètres d’Ho Chi Minh et qu’elle était célèbre pour ses tunnels.

     - Des tunnels ! s’étonna Zébu.

     

    Entrée d'un tunnel

    - Oui mon minet, il paraît même qu’ils s’étendent sur 200 kilomètres et qu’ils ont été entièrement creusés à la main et à la pelle par les paysans. On dit qu’il y a plusieurs niveaux, le plus profond devant atteindre 12 mètres, et qu’il s’agit d’une véritable ville souterraine avec des hôpitaux de campagne, des cuisines, des magasins, des caches d’armes et des salles de réunion.

     - Mais pourquoi ont-ils fait une cité sous la terre ? fit Zébu interloqué.

    Maquette représentant les différents niveaux des tunnels

     - Toujours d’après Gibbonnette, les premiers tunnels ont été creusés dans les années 40 pour permettre aux paysans de se protéger des bombes. Il paraît qu’en Europe les gens avaient constitué des caches identiques dans des caves. Ensuite, les tunnels furent abandonnés pour être réutilisés lors de la dernière guerre du Vietnam. Ils servaient de base aux combattants qui pouvaient ainsi observer leurs ennemis grâce à des ouvertures habilement dissimulées, et préparer leurs attaques dans le plus grand secret.

     - Que sont devenus ces souterrains maintenant que la guerre est finie ? demanda le chaton.

     - Une section a été spécialement aménagée à l’attention des touristes qui peuvent visiter une partie des tunnels. Pour le reste, je pense que les souterrains ont dû être comblés car ils ne présentent plus aucun intérêt.

     - Crois-tu que le mystère dont nous a parlé Gibbonnette aurait un rapport avec les tunnels ? Dit encore Zébu.

     - Impossible, déclara fermement Moineau. Les souterrains sont ouverts au public, chaque jour les visites se succèdent en pagaille ; s’il y avait un problème quelconque, les autorités auraient condamné les issues et interrompu les visites.

     - Oui mais…

     - Zébu, Moineau ! En route, nous partons ! s’exclama Zeus.

     

     

     

    Les deux amis durent renoncer à pousser plus loin leurs réflexions et rejoignirent la troupe formée des parents de Zébu et de Gibbonnette qui venait tout juste d’arriver. Pour atteindre leur destination, il n’était pas question qu’ils marchent car la route était très longue et il leur aurait fallu plusieurs jours pour parvenir à Cu Chi. Sur les recommandations de sa soeur, Gibbonnette avait prévu de se rendre à la gare routière de Mien Tay, située à une dizaine de kilomètres du centre ville. De là, ils grimperaient sur le toit d’un autobus et s’installeraient parmi les bagages, les vélos, les poules et peut-être même les cochons.


     


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  • CHAPITRE I - Une invitation

    Perché sur un arbre, Zébu guettait sournoisement une jolie salamandre qui avait trouvé refuge entre deux feuilles de chêne. Depuis bientôt une semaine, cette partie de cache-cache avait débuté, mettant en scène le chaton et le gros lézard. Tous deux étaient pourvus de qualités leur permettant de prendre l’avantage sur l’adversaire. Zébu, petit mais élancé, concentrait toute sa puissance dans ses pattes au bout desquelles de redoutables griffes acérées lui assuraient une emprise parfaite sur ses proies. Deux canines de tueurs agrémentaient une bouche joliment dessinée, d’où pointaient de fines moustaches. Par ailleurs, des yeux de lynx bleu lavande guidaient son regard perçant, de jour comme de nuit.

    La salamandre bénéficiait d’une incroyable agilité, pouvant à sa guise grimper le long des arbres ou des murs. Ses déplacements rapides lui permettaient la plupart du temps de fausser compagnie à ses adversaires, avant qu’ils n’aient l’occasion de lui faire un mauvais sort. Enfin, sa couleur indéfinissable l’aidait à se fondre dans le paysage, tel un caméléon. Néanmoins, sa petite taille en faisait une proie facile et sa longue queue la desservait lorsqu’elle devait échapper aux griffes d’un chat.

    Ce jour-là, Zébu et la salamandre entamèrent la dernière manche d’une partie dont l’issue serait manifestement fatale au reptile. Dissimulé sous une feuille, ce dernier perdait de sa visibilité tandis que, tout à son aise, le chaton scrutait la branche, prêt à bondir au moindre mouvement. Assurément la salamandre n’avait pas l’avantage et se maudissait intérieurement de s’être réfugiée dans cet arbre. Elle avait sous-estimé son adversaire et n’avait malheureusement plus beaucoup de temps pour le regretter. C’est alors qu’un petit miracle se produisit en faveur du lézard. Au loin, une voix retentit :

     - Zébu, viens manger, c’est l’heure.

    « Flûte, se dit le chaton, pour une fois que je tenais le bon bout, il va falloir que je le laisse filer. »

    Puis, cruellement à l’attention de la salamandre, il déclara :

     

    - Toi ma fille, tu ne perds rien pour attendre. Un jour nous nous retrouverons et ce sera ta fête, foi de Zébu !

    Il dégringola le long de son perchoir et rejoignit sans plus tarder Zoé, qui commençait à s’impatienter.

     - Encore en train de persécuter cette pauvre salamandre ? questionna-t-elle.

     - Elle l’a bien cherché ! s’exclama Zébu. Tous les matins elle fait exprès de me passer sous le nez à toute vitesse pour me narguer.

     - Je crois plutôt qu’elle a élu domicile dans l’arbre et que chaque matin elle rentre chez elle après s’être gavée de moustiques à l’intérieur de la maison.

    Les paroles de sa maman lui clouèrent le bec, et il piqua droit dans son assiette. Sa famille vivait chez un couple de français, Chloé et Bayen, qui leur prodiguait les meilleurs soins. Zoé avait l’élégance des félines, avec un petit quelque chose en plus qui faisait d’elle une belle chatte. Philosophe, elle raisonnait avec justesse et ses conseils avisés étaient souvent suivis. Zeus, le papa du chaton, était le chef des chats du quartier et passait pour être sage tout autant qu’impitoyable envers ses ennemis. Il savait se battre, et même très bien, aussi les importuns y réfléchissaient-ils à deux fois avant de s’attaquer à lui. Souvent en voyage pour prêter patte forte à plus faible que lui, il était pourtant présent aujourd’hui et ce, depuis plusieurs semaines.

    La famille avait vécu des heures tragiques(1), aussi Zeus avait-il décidé de prendre un peu de repos parmi les siens. Zébu recherchait la compagnie de son papa, auprès duquel il puisait tout son enseignement. Père et fils s’étaient imperceptiblement rapprochés depuis quelque temps ; une agréable connivence les liait l’un à l’autre.

    Alors que toute la famille chat s’apprêtait à faire la sieste, repue de poisson et abreuvée de lait frais, l’écho d’une voix familière se fit entendre :

     - Bonjour tout le monde, je passais dans le quartier avec Moineau et, chemin faisant, nous avons décidé de faire un petit détour par chez vous.

     

    Aussi étrange que cela puisse paraître, un gibbon nain, surmonté d’un passereau, venait de pénétrer dans le jardin. C’était Gibbonnette qui avait salué ses amis. Quelques mois plus tôt, elle était apparue dans la vie des chats au même moment que Moineau(2). Le primate n’avait pas de queue ; son faciès affichait en permanence une succession de grimaces, toutes plus invraisemblables les unes que les autres ; son poil était de couleur sombre ; son ventre s’arrondissait à mesure que le temps passait, ceci en raison de son insatiable gourmandise. Gibbonnette ne perdait jamais une occasion de faire des blagues, mais attachante, elle avait rapidement été adoptée par les chats. De temps à autre, elle leur faisait l’honneur d’une visite, lorsqu’elle était lasse de rester dans la boutique de souvenirs de son maître.

    Moineau quant à lui faisait pratiquement partie de la famille. Il avait été de toutes leurs aventures, bonnes ou mauvaises, et passait pour être le meilleur ami de Zébu. Un bec jaune était planté au milieu de sa malicieuse tête, sur laquelle trônait une houppette de plumettes. Sa robe marron était toujours impeccable de même que sa petite queue en gaufrette. Erudit, il prétendait tout connaître, se raillant régulièrement de l’ignorance de ses amis. Cependant, c’était un merveilleux voltigeur doublé d’un chanteur accompli. Il avait souvent le couplet au bord du bec, communiquant à la ronde sa gaieté naturelle.

     - C’est toujours un plaisir de te revoir Gibbonnette. Alors, quelles sont les nouvelles ? questionna Zoé.

     - Et bien justement, j’en ai une bonne à vous annoncer : je viens de retrouver ma soeur Gibiline !

     - Quelle soeur ? Tu ne nous en as jamais parlé, fit remarquer Zébu.

     - Tout simplement parce que j’ignorais son existence. Mon plus lointain souvenir remonte à l’époque où je vivais au marché aux animaux, un peu avant que mon maître ne m’achète. Avant, c’est le trou noir, je ne parviens pas à me rappeler mes origines. L’autre jour, alors que je flânais sur le pas de la porte de la boutique, un mini bus ressemblant à un triporteur vint à passer, avec à son bord une vieille dame accompagnée d’un gibbon.

    Tout d’abord, je n’y prêtai pas attention, puis, peu après, je remarquai le véhicule stationné devant l’échoppe d’un bouquiniste. J’aperçus alors le singe qui se promenait librement, sans pour autant s’éloigner de sa maîtresse. Intriguée, je m’approchai afin de lier connaissance avec ce charmant primate. À peine eus-je le temps de lui demander son prénom, qu’il me regarda d’une drôle de façon. Puis, toujours sans mot dire, il vint près de moi, touchant mon visage et flairant mon odeur.

    Tout à coup il s’écria : « Tu ne peux être que Gibbonnette ! » Surprise, je le regardai avec effarement en me demandant comment ce singe pouvait connaître mon nom. Décidant de jouer franc jeu, je lui dis : « C’est exact, je suis bien Gibbonnette. » Et avant que je ne rajoute le moindre mot, il se jeta dans mes bras et se mit à sangloter en murmurant : « Ma soeur chérie ! J’ai enfin retrouvé ma jumelle. »

     - C’est quoi une jumelle ? demanda Zébu naïvement.

     - Alors là mon minet, c’est très simple, si tu avais un frère jumeau, il y aurait deux Zébu ! Vous vous ressembleriez comme deux gouttes d’eau, auriez le même caractère et des mimiques identiques, expliqua Moineau.

     - Quelle horreur ! s’écria Zébu. Si j’avais un jumeau il me collerait toute la journée et s’attaquerait aux mêmes proies que moi.

     - Ce serait surtout un cauchemar pour nous, ajouta malicieusement Zoé, nous avons bien assez de soucis avec un seul Zébu !

     - C’est tout à fait cela, reprit Gibbonnette. En y regardant de plus près, je découvris avec stupeur que ce singe me ressemblait beaucoup. Comme je la pressai de questions, elle finit par me conter notre histoire.

    « Petites, nous vivions heureuses avec nos parents dans une forêt proche de la frontière cambodgienne. Souvent, nous allions jusqu’au village peuplé de paysans et jouions avec les enfants. Un jour, alors que nous étions parmi les hommes, une camionnette fit son entrée et stoppa violemment devant l’une des maisons. Puis, avant que nous ne puissions nous enfuir, le conducteur du véhicule nous attrapa ma soeur et moi, tandis que nos parents s’échappaient. Ils ne purent rien faire pour nous sauver. On nous mit en cage et nous roulâmes longtemps pour enfin atteindre Ho Chi Minh Ville.

    Je fus abandonnée au marché aux animaux où je passai de longues semaines avant que mon maître ne vînt. Quant à ma soeur, elle fut conduite dans une autre province, subit le même sort que moi, et après avoir changé de nombreuses fois de propriétaires, elle se retrouva chez la vieille femme. »

     - Mais comment se fait-il que tu ne te souviennes de rien ? demanda Zébu.

     - Ma soeur pense que le choc a dû provoquer une amnésie, et je dois avouer que malgré ses explications, je n’ai toujours pas recouvré la mémoire.

     - C’est formidable ! s’exclama Zeus. Tu as enfin retrouvé une partie de ta famille.

     - C’est vrai, d’ailleurs je dois aller rendre visite à ma soeur dans deux jours.

     - Où habite-elle ? questionna Zoé.

     - À Cu Chi. À ce propos, je dois vous avouer que ma visite n’est pas due au seul fait du hasard. Je souhaiterais que vous vous joigniez à moi car ma soeur m’a fait savoir qu’il se passait d’étranges évènements à Cu Chi. Elle ne m’en a pas dit plus, mais je pense que votre aide pourrait être précieuse. Qu’en dîtes-vous ?

    Étonnés par cette proposition aussi soudaine qu’inattendue, ils restèrent un instant méditatifs. Finalement, après avoir échangé des propos à voix basse avec son épouse, Zeus déclara :

     - C’est d’accord. Nous serons du voyage. Après les péripéties que nous venons de vivre, quelques jours de vacances nous feront le plus grand bien.

    Flairant déjà l’air du mystère et de l’aventure, Zébu parvenait mal à dissimuler sa joie, puis, avisant Moineau, il lui demanda :

     - Ne pourrais-tu pas nous accompagner mon ami ? Sans toi cette expédition serait bien monotone. Nous pourrions arranger cela avec tes parents.

     - Ne t’inquiète pas mon minet ! Nous sommes passés les voir avant de venir chez vous. Ils sont d’accord à condition que tes parents soient du voyage.

     - Génial ! s’exclama Zébu. Nous sommes enfin réunis comme au bon vieux temps. Tu vas voir Gibbonnette, nous allons faire du rififi à Cu Chi !

    ©zebuchaton.com 2010


     

    (1)Voir L’enlèvement

    (2)Voir L’affaire du cerf-volant.


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